L’innocence n’est pas un état à retrouver, mais une source à reconnaître.
« L’innocence au cœur de Noël – au-delà du religieux »
Il y a, dans l’air de décembre, quelque chose qui scintille autrement que les guirlandes suspendues aux vitrines. Un souffle discret, presque timide, déposé entre les bruits d’une fin d’année qui s’agite. C’est comme une main d’enfant posée sur le cœur d’un adulte fatigué. Une invitation à revenir vers un endroit intérieur que l’on oublie souvent : l’innocence.
Noël revient chaque année, avec ses lumières, ses listes, ses achats impulsifs, ses attentes parfois lourdes comme des tables trop garnies ou des réunions de famille trop chargées. Pour certains, c’est une joie, pour d’autres, une obligation, pour beaucoup, un mélange subtil de nostalgie et de renoncement. Pourtant, si l’on écoute sous cette surface brillante, dans la fibre silencieuse de l’être, on y trouve une question simple mais essentielle : et si le sens de Noël n’était pas tant dans la fête que dans l’innocence ?
L’innocence n’est pas naïveté. Elle n’a rien de l’aveuglement ou du déni. Elle est ce regard premier, encore lavé du bruit du monde, ce regard qui voit la possibilité plutôt que le manque, la bonté plutôt que le calcul, la naissance plutôt que la perte. C’est le regard de celui qui n’a pas peur de croire encore, même au milieu des difficultés. L’innocence n’est pas l’enfance : elle est la capacité, à tout âge, de laisser émerger ce qui n’a pas encore été abîmé en nous.
Viktor Frankl nous rappelle que l’être humain ne survit pas par le plaisir, mais par le sens. Et dans cette perspective, l’innocence devient une orientation intérieure : le choix de croire en ce qui peut naître, même au cœur de ce qui paraît brisé. C’est cette petite voix fragile mais tenace qui murmure : « il y a encore quelque chose à vivre ». Ce n’est pas un retour vers un passé idéalisé, mais une avancée vers la possibilité d’un recommencement.
À Noël, plus qu’un événement, il s’agit d’un retour vers ce qui, en nous, ne renonce jamais tout à fait. Nous ne célébrons pas l’enfant Jésus seulement par tradition, par dogme ou par culture. Nous célébrons l’enfant en nous : celui qui, même après les blessures de la vie, continue de croire que chaque venue au monde est une promesse. Sans cette source intérieure, la fête devient un décor sans âme. Mais quand l’innocence respire, la fête se transforme en bénédiction : non pas ce que l’on possède, mais ce que l’on permet de renaître en nous — une lumière humble, discrète, mais toujours neuve.
« Redécouvrir le sens par le regard de l’enfant »
Alors, comment vivre Noël avec cette innocence reconnue, plutôt que recherchée en vain ? Peut-être en ralentissant jusqu’à sentir de nouveau, dans les gestes les plus simples, leur valeur sacrée. Préparer le pain de manière attentive, écrire un mot tendre au lieu d’un message rapide, prendre le temps d’allumer une bougie, d’écouter une voix aimée ou une musique qui apaise. Noël, dans sa dimension la plus profonde, ne demande pas la perfection : il demande la présence.
La logothérapie nous invite à répondre à la vie, non pas par l’exigence de ce qu’elle devrait nous donner, mais par la manière dont nous choisissons de lui répondre. Le sens ne se consomme pas : il se découvre. Il se reçoit comme un cadeau discret, parfois fragile, souvent inattendu. Et il surgit précisément dans ce qui semble anodin : dans le parfum d’une mandarine épluchée au coin d’une table, dans le froid du matin qui rosit les joues, dans le rire d’un enfant qui ne sait pas encore ce qu’il offre au monde en riant ainsi.
Parfois même, le sens se manifeste dans un silence partagé. Une présence, une respiration, un regard qui dit : « Je suis là. » Les fêtes nous rappellent que la vie n’a pas besoin d’être spectaculaire pour être profonde. Là où l’attention se pose, l’innocence renaît.
Noël n’est peut-être ni un calendrier, ni un rite social, ni une production saisonnière d’émotions imposées. Noël serait plutôt un seuil. Celui où l’on décide, malgré le cynisme ambiant, de croire encore en la tendresse, en la bonté, en la possibilité d’un recommencement. Chaque année, cette porte s’ouvre devant nous. On peut la franchir ou l’ignorer. Mais elle est là, offerte.
L’innocence, en vérité, n’est pas un état perdu qu’il faudrait retrouver. C’est une source silencieuse qui ne s’est jamais tarie, seulement recouverte de poussière. Elle attend qu’on s’y attarde, qu'on lui redonne un peu d’espace. C’est le courage, parfois immense, de ne pas refermer son cœur. Le courage d’essayer encore, d’aimer encore, de croire encore.
Peut-être que le miracle de Noël est là : que chaque enfant qui naît — et chaque part de nous qui renaît — est déjà une victoire sur la nuit.
La lumière ne manque pas au monde, c’est notre regard d’enfant qui doit s’y adjoindre.
