Viktor Frankl autrement
Viktor Frankl, né en 1905 à Vienne et décédé en 1997, est un psychiatre, neurologue et philosophe autrichien dont le parcours exceptionnel a profondément marqué le monde de la psychologie et de la croissance individuelle. Juif, profondément influencé par ses expériences, notamment en camps de concentration, Frankl a élaboré dès les années 1920, une approche thérapeutique unique : la logothérapie, qui met au centre de la condition humaine la quête de sens.
Dès l’âge de quatre ans, Frankl se pose des questions sur le sens de la vie, à 6 ans, il sait qu’il veut devenir médecin. A ses 9 ans la guerre éclate. Il est souvent conduit à la campagne dans sa famille, en Moravie. Ces difficultés l'ont marqué pour la vie : son style de vie est dépouillé, exempt de tout superflu, avec un train de vie modeste. Il ne manquait certes de rien d'essentiel, mais pour lui, l'argent était un moyen de survivre. Il insistera plus tard sur le fait que des conditions de vie dures permettent plus d'authenticité et plus d'humanité que ne l’offre le confort.
Adolescent, c'est un élève vif, intéressé et actif. Il réfléchit quotidiennement au sens du jour écoulé, du jour à venir. Le suicide d'un élève dans sa classe, mort un livre de Nietzsche à la main, l’influencera et à partir de ce moment le lien existentiel entre une vision de la vie et un projet qu'on forme pour cette même vie, lui apparaissent. Révolté contre le nihilisme ambiant dont le camarade a sans aucun doute été une victime, il décide de s'engager dans la lutte contre le pessimisme, le négativisme autour de lui, et met en place des interventions bénévoles pour prévenir ces nombreux suicides chez les jeunes.
Le lycéen montre de plus en plus d'intérêt pour la philosophie grecque, pour la psychologie, science encore récente à cette époque, et s'interroge sur ses relations avec la philosophie. Il fait son premier exposé sur le sens de la vie à 16 ans, ce qui deviendra le thème de toute sa vie. Il lit Marx, Lenin, s'engage dans les jeunesses ouvrières socialistes, devient ensuite président des élèves socialistes d'Autriche.
Dès cette époque, il pense que l'originalité de l'homme réside dans son indépendance spirituelle - noétique, la liberté de la volonté, la responsabilité personnelle. Ces idées sont surprenantes et le font remarquer. Cependant, le lycée finit par l'ennuyer, et il décide de s'alimenter à d'autres sources. Il va écouter les cours du Pr Wagner chef de la clinique universitaire, il suit les cours de psychologie appliquée à l'université populaire, participe aux groupes de travail sur les relations entre la philosophie et la psychologie, écoute des exposés de psychanalyse.
Maintenant parlons d'un personnage viennois très important de l'époque : c'est le professeur Freud. Frankl s'enthousiasme pour lui, ses idées nouvelles, et informe tous ses camarades lycéens sur les idées concernant la sexualité, domaine encore tabou. Freud va même publier un article du jeune homme dans une revue spécialisée. Frankl continue à s'adonner à la lecture, découvre Schopenhauer, dont on pense que les écrits sur la souffrance et la compassion auront une certaine influence, il passe son bac en 1923 et connaît une crise existentielle qu'il pourra surmonter grâce à l'aide de certains professeurs. Il en sortira avec la conviction définitive que c'est l'esprit (la part spirituelle) qui fait de l'homme ce qu'il est, même si les nihilistes nient son existence.
L’année suivante, il entame ses études de médecine et se spécialisera en psychiatrie entre 1930 et 1936. Il a conscience que la psychiatrie peut être tentée par l'emprise sur l'autre, pour le dominer et le manipuler. Et il prend ses distances avec la psychanalyse, alors qu’on lit fréquemment qu’il était psychanalyste, car il trouve l'enseignement freudien concernant les pulsions trop déterministe, mécaniste et psychologiste. Il reproche à Freud d'être fermé aux valeurs et d'exclure la dimension proprement humaine. Il lui reproche aussi de ne voir dans le patient que la névrose et non l'être humain. Il décide alors de rejoindre le groupe de psychologie individuelle et entre dans le cercle formé autour d'Adler, pionnier de cette dernière. Ce n'est pas qu'il apprécie la personnalité de ce psychologue, il apprécie par contre qu’il s'oppose à Freud sur l'idée que la sexualité soit la seule cause des névroses, qu'il prenne en compte le principe de finalité et qu'il inclue dans sa pensée la dimension sociale. Cette « collaboration » conduira Frankl à penser que "l'homme doit répondre aux questions que la vie lui pose et non le contraire".
Cependant, Frankl le trouvera trop autoritaire et dépourvu de sens philosophique, quoi qu’il en soit Adler l'exclut du cercle. Cet incident marque pour Frankl le début d'une longue période de plusieurs années de doute, de désorientation, de vide. Il éprouve parallèlement de manière douloureuse la rigidité conceptuelle et le dogmatisme du système de pensée psychiatrique. Il constate que ce système est totalement incapable de prendre en considération l'être humain dans sa totalité. Il s'oblige, pour survivre professionnellement, à introduire dans la réflexion thérapeutique les concepts de valeur et de sens.
C'est aussi en cette période qu'il découvre pour son plus grand bonheur, la philosophie de Max Scheler, et il qualifie cette découverte d'expérience spirituelle comparable à une conversion. Il affirme par la suite qu'il portait toujours sur lui, comme une Bible, le livre intitulé "Formalisme de l'éthique". On ne peut pas comprendre la pensée de Frankl sans connaître celle de Scheler.
En 1927, Frankl introduit le terme « logothérapie », et en 1938, il publie son premier article scientifique à ce sujet. Contrairement à Freud, pour qui la motivation humaine fondamentale est la volonté de plaisir, contrairement à Adler qui privilégie la volonté de puissance, Frankl soutient que l’homme est avant tout guidé par la recherche de sens. Inspiré par la phénoménologie de Max Scheler, il refuse le réductionnisme, qui, selon lui, rétrécit l’humanité aux simples instincts.
En tant que psychiatre à Vienne, Frankl soigne des milliers de patients. De 1933 à 1936, il traite chaque année plus de 3000 patientes suicidaires, démontrant ainsi sa détermination à accompagner ses patients vers la résilience. Sa pratique clinique, pragmatique et bienveillante, renforce ses convictions existentielles.
En 1939, bien que les États-Unis lui offrent une échappatoire, il choisit de rester en Autriche pour prendre soin de ses parents. Son dévouement familial et son courage le conduiront aux camps de concentration (Auschwitz, Theresienstadt, Kaufering3 et Turckheim) en 1942, où il perdra presque toute sa famille. Dans ces conditions terribles, son expérience l'a amené à repenser la relation entre sens et souffrance, douleur et mort. La survie dans des conditions extrêmes dépend de la capacité à trouver un sens à sa souffrance. Et pour Frankl, ce sens n'existait que s'il survivait pour finir son ouvrage confisqué à son arrivée au camp, et repenser sa thérapie à la lumière de son expérience. L'homme ne peut trouver un sens à sa souffrance qu'en cherchant à s'améliorer lui-même, en tendant vers plus de bonté.
En 1945, immédiatement après sa libération, il dicte en neuf jours « Découvrir un sens à sa vie grâce à la logothérapie », qui deviendra un ouvrage essentiel pour la compréhension de la condition humaine. Ce sera sa pire crise existentielle, ce retour seul à Vienne où il a perdu tous les siens.
Son étudiante la plus connue, Elisabeth Lukas, rappelle les traces indélébiles laissées par les camps chez Frankl. En fait, à son retour il écrit plusieurs livres, dont "Le ministère médical". C'est ce fameux manuscrit qu'il avait emporté à Auschwitz, cousu dans la doublure de son manteau, et qui fût détruit ; en partie reconstitué sur des feuilles volées dans un bureau du camp ; à sa sortie il le terminera, et le dédiera à sa femme disparue.
Frankl considère la quête de sens comme une motivation fondamentale de l'être humain, indépendamment de toute croyance religieuse. Bien qu’il soit lui-même religieux, il insiste sur l’auto-transcendance, soit la capacité de chaque individu à dépasser sa propre existence pour servir un but plus élevé. La logothérapie n’impose aucune spiritualité. Elle laisse l’individu libre de choisir son orientation vers l’Absolu ou non. Pour Frankl, l’essentiel est que l’homme soit responsable de sa vie, de ses choix, et de ses aspirations.
Pendant 25 ans, il dirigera la clinique psychiatrique de Vienne. Ce sera aussi sa période la plus fructueuse sur le plan scientifique. Il entretient des relations suivies avec des penseurs, des scientifiques tels que Jaspers, Heidegger, G. Marcel, Allport, Rogers, Maslow…
Parallèlement à son activité médicale, il donne des centaines de conférences. Comme orateur, il est très apprécié pour sa vivacité, son humour, sa capacité à entrainer les auditeurs. En tant que praticien, Frankl développe également les premiers psychotropes, posant ainsi des jalons pour la psychiatrie moderne. Il est invité dans 206 universités et reçoit 29 titres de Docteur Honoris Causa. Son œuvre est vendue à plus de 13 millions d’exemplaires, et plus de 850 livres et thèses scientifiques lui sont dédiées.
En 1947, il épouse une infirmière, Éléonore Schwindt, qui travaillait à la clinique dentaire. Il paraît même qu'il était allé jusqu'à simuler une rage de dent pour la revoir ! Ils ont vécu ensemble, avec leur fille jusqu'à la mort de Frankl.
A partir de 1961, il vit de plus en plus aux USA et en Amérique du Sud, parce que ces pays sont plus réceptifs à la logothérapie que l'Europe, où il ne sera reconnu, comme l’homme le plus important, qu’en 1991 en Autriche. En 1970, il devient professeur à San Diego en Californie, il enseigne aussi à Harvard, Dallas, Pittsburg.
Frankl est un homme aux multiples talents, curieux de tout : passionné de voyage, il pratique l’alpinisme et l’aviation pour explorer des horizons inconnus. Grand amateur de danse, il compose même un tango. Son sens de l’humour se traduit par un amour des caricatures, une manière, selon lui, de garder la distance nécessaire à la compréhension humaine.
A 74 ans, revenu en Autriche, Frankl termine sa vie en homme réputé pour sa sagesse, sollicité par d'innombrables personnes à la recherche d'impulsions nouvelles et de conseils pour leur existence.
À travers la logothérapie, Viktor Frankl a offert au monde un modèle de résilience face à la souffrance, permettant à des millions de personnes de trouver un sens même dans l’adversité. Sa vision humaniste reste une source d’inspiration pour les thérapeutes, les philosophes et toute personne en quête de sens. La logothérapie est aujourd’hui pratiquée sur tous les continents, et son influence continue d’éclairer le chemin de ceux qui cherchent à comprendre la condition humaine dans toute sa profondeur.
« L'homme ne peut trouver un sens à sa souffrance
qu'en cherchant à s'améliorer lui-même, en tendant vers plus de bonté » VF